L'itinérance a de nombreux visages
Alfred - Vivre dans la rue en région
(AAF) - La pauvreté subsiste et emprunte sans cesse de nouveaux visages. Parmi les politiciens, intervenants et gens du public, il y a Alfred, qui a bien voulu partager son histoire avec notre journaliste.
Alfred, André-Arthur Gaudette de son vrai nom, est certes un des symboles les plus éloquents de cette pauvreté, qui existe aussi en région. Pourquoi? Parce qu’on le voit depuis plusieurs années dans le coin de Warwick, Saint-Albert et Victoriaville, la casquette tendue afin de solliciter quelques dons. D’ailleurs, cette pratique lui aura valu trois contraventions, juste dans les jours avant la préparation de ce reportage.
Or, derrière le symbole qu’il représente à nos yeux, il y a aussi l’homme et une histoire de décisions.
Natif de Drummondville, l’homme à la longue barbe est âgé d’une quarantaine d’années. « J’ai été 3 ans à temps plein dans la rue, raconte-t-il d’emblée. Ensuite, j’ai frappé de l’ouvrage à Saint-Jude : casser du concombre et de la citrouille. Ça a lâché un peu, alors je suis plus par ici. »
Selon lui, plusieurs facteurs font en sorte que même les emplois saisonniers sont moins accessibles. « C’est de plus en plus robotisé. Ça prend un secondaire 5 partout et un véhicule pour voyager. Les gens ne veulent plus nous garder chez eux. Tu fais ta job et quand tu as finis, tu t’en retournes. »
Compagnons essentiels
Alfred se souvient du temps où il s’installait dans les étables avec ses chiens après le travail. D’ailleurs, même si on le voit de moins en moins souvent en présence de ses chiens, il vit toujours avec eux.
« C’est plus que des compagnons de vie. Ça devient un peu comme tes membres. Si tu perds un chien, c’est comme perdre une partie de toi-même », explique-t-il.
Parfois dans un autobus dans le bois, parfois chez de la famille à Saint-Rosaire, il se débrouille tant bien que mal pour mettre un toit au-dessus de sa tête. Toutefois, s’il vit dans la précarité depuis nombre d’années, il n’en a pas toujours été ainsi.
Grandes illusions
« J’ai eu des towing et un garage. J’ai fait de la restauration, du transport d’autobus, j’ai fait pas mal le tour », lance-t-il. Si André-Arthur Gaudette a décroché du système, c’est par « écoeurement de la direction », selon ses propres termes.
« Il y a toujours de nouveaux règlements qui rentrent. On dirait qu’il y a des fonctionnaires payés à l’année longue juste pour étudier ça », croit-il. La rigidité, dans tous les domaines, et certaines aberrations l’on amené à « opter pour le non-endettement », plaide-t-il.
Pour lui, travailler et posséder ne sont que de grandes illusions de notre temps. « Tu travailles à la sueur de ton front pour te ramasser des biens qui, en réalité, ne t’appartiennent pas, car il y a toujours quelque chose qui fait en sorte qu’il faut que tu payes pour les conserver. »
Intimidation
Bien entendu, le fait de quêter le met à la merci des préjugés. « Mais je ne suis pas une mouette. Je me promène avec ma calotte et si les gens veulent me donner, ils le font. Je ne me plante pas devant les voitures », explique-t-il. La peur, pour Alfred, nait précisément des idées préconçues que nourrissent les gens.
S’il ne passe plus ses hivers à Montréal, comme il l’a déjà fait par le passé, c’est que les conditions de vie des itinérants sont, à son avis, de plus en plus pénibles. « C’est difficile de dormir sur ses deux oreilles », témoigne-t-il.
Enfin, le plus malaisé pour lui n’est pas de devoir quêter, mais plutôt de subir de l’intimidation. Des insultes, il en entend. Des balles et des bouteilles, il s’en est fait lancer souvent. Il faut une carapace solide pour s’en sortir, car le pire n’est pas d’être sans le sou, mais bien de vivre avec ceux qui en ont trop pour comprendre.
Autre texte: Contrer l'itinérance... http://bit.ly/1w5zGnV