Récente dénonciation
La FPJQ part en croisade contre les faux médias sans journalistes propulsés par l'IA
Par La Presse Canadienne
La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) lance une première salve contre les faux médias en ligne propulsés par l’intelligence artificielle (IA) dont le contenu n’est soumis à aucune règle déontologique ou éthique.
«On a vu l'apparition de médias en ligne qui, essentiellement, ce qu'ils font, c'est qu'ils reprennent le travail des autres médias et ils font croire qu'ils ont des journalistes qui font un travail journalistique», a déclaré le président de la FPJQ, Éric-Pierre Champagne, en conférence de presse vendredi depuis Rivière-du-Loup, où se tient le congrès annuel de la Fédération ce week-end.
«L'idée, ce n'est pas de rejeter l'intelligence artificielle. Ça peut être un outil qui peut aider les journalistes et les médias dans leur travail, mais l’IA ne fait pas de journalisme», a-t-il rappelé.
La sortie de la Fédération survient dans la foulée de la récente dénonciation du «Journal de Sherbrooke», une publication arborant un logo qui s’apparente à de vrais journaux récemment apparue en ligne dans laquelle de faux journalistes – créés de toute évidence par intelligence artificielle et dont les profils ont été retirés après que les pratiques du site eurent été dévoilées par d’autres médias – signaient des textes. Ces textes, également produits par l’IA générative, contenaient des informations plagiées et même des entrevues tirées de médias crédibles sans aucune attribution.
Éric-Pierre Champagne a invoqué des études qui démontrent à quel point l’IA, lorsqu’on lui demande de faire état de l’actualité, n’offre aucune fiabilité. «C'est fascinant: des nouvelles carrément inventées par l'IA, des erreurs grossières, tout ça est extrêmement troublant.»
La FPJQ est à étudier d’éventuelles demandes de législations pour mieux protéger les droits d’auteur des médias et pour réprimer l’usurpation d’identité de médias, mais aussi de journalistes eux-mêmes. Le Journal de Sherbrooke présentait par exemple un journaliste judiciaire dont le nom et la photo – générée par IA – ressemblaient à s’y méprendre au nom et à l’image du vrai reporter judiciaire du quotidien sherbrookois La Tribune. Évidemment, ce journaliste n’existe pas.
Selon M. Champagne, plusieurs médias sont aussi à analyser la possibilité d’exercer des moyens légaux pour faire cesser ce genre de publication.
D’ici là, la Fédération présente trois demandes, la première visant le géant technologique Meta, qui bloque depuis deux ans les médias traditionnels afin d’éviter de contribuer au fonds fédéral des médias, mais qui laisse le champ libre à ces faux médias. «On demande à Meta de bloquer ces médias, même si on considère qu'ils ne sont pas nécessairement des vrais médias, mais de les bloquer sur leurs plateformes Facebook et Instagram. Il n'y a aucune raison pour qu'ils aient le droit de partager leur contenu alors que les médias légitimes sont bloqués sur ces plateformes depuis deux ans.»
Deuxièmement, la FPJQ demande aux trois ordres de gouvernement, aux agences publicitaires et aux annonceurs de s’assurer que leurs placements publicitaires ne se retrouvent pas sur ces plateformes. Elle les avertit au passage qu’«il y a des problèmes légaux très importants avec ces plateformes. C'est du vol de propriété intellectuelle. Alors, on (leur) demande de ne pas s’associer à ces contenus».
Enfin, la FPJQ demande aux gouvernements de n’accorder à ce type de plateforme aucune des aides publiques destinées aux médias, dont la survie a été mise à mal depuis plusieurs années par les géants du web, qui ont accaparé leurs revenus publicitaires. «Ce sont surtout des subventions sur la masse salariale, donc en fonction du nombre d'emplois, de journalistes. Il y a des critères, c'est très normé, il y a des plafonds. On ne veut pas que ces médias reçoivent des fonds publics parce qu'en fait, ils ne font pas de journalisme. Ils n'ont même pas de journalistes à leur emploi», a pesté M. Champagne.
Le président de la FPJQ a été interrogé sur le retour du journal Metro, qui avait fermé ses portes il y a deux ans et qui vient d’être relancé en version web avec, jusqu’à nouvel ordre, un seul journaliste qui utilise l’intelligence artificielle pour produire des textes et des images. Le rédacteur en chef et unique journaliste de Metro, Olivier Robichaud, a assuré lors de la relance du quotidien, au début d’octobre, que tous les contenus produits par intelligence artificielle seraient vérifiés par un humain avant d’être mis en ligne.
Mais Éric-Pierre Champagne s’est montré critique à la suite de certaines publications, notamment une photo coiffant un texte traitant d’islamophobie. «On voyait des hommes et des femmes porter le voile, donc qui ne correspondait pas à la réalité. Il n'y a pas d'hommes qui portent le voile chez les musulmans et c'est un parfait exemple d'un problème lié à l'utilisation de l'IA.»
L’IA, a-t-il répété, «n'est pas un outil pour produire des contenus. (…) Qu'on s'engage à ce que les journalistes le vérifient, c'est une belle promesse sur papier, mais en pratique, on sait que ça va être impossible pour un humain de faire toutes ces vérifications-là. Donc, c'est troublant.»
Il demande enfin au grand public d'être vigilant et d'alerter la FPJQ ou le Conseil de presse dans les cas où un de ces faux médias ferait son apparition sur les écrans.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
