Yves-François Blanchet : La guerre sale du loup solitaire
Une rélexion de Yves-François Blanchet sur la tragédie d'Ottawa du mercredi 22 octobre
À l’émission Paroles de Blanchet, j’ai lancé un débat qui agite les médias sociaux: l’attaque perpétrée au Parlement du Canada est-elle un acte de guerre? Après tout, l’assassinat d’un seul soldat par un individu isolé, névrosé, armé d’un fusil de chasse à deux coups, affublé d’un foulard démodé, sans complices, sans ordre émanant de la chaîne de commandement de l’État islamique, est-ce un acte de guerre?
Mercredi, les autorités ne démentaient pas que l’agression ait pu impliquer jusqu’à cinq individus. Ça suggère un complot, une organisation, un parrainage terroriste. Jeudi, il est devenu clair qu’il s’agissait plutôt d’un acte isolé. Tout désigne le cas psychiatrique, l’œuvre d’un fou, le loup solitaire. Mais voilà : Michael Zehaf-Bibeau n’est pas tant l’auteur du geste terroriste; il est l’arme utilisée pour le perpétrer.
Le soi-disant État islamique n’est pas un état : il n’est pas l’organisation gouvernementale d’un pays ou d’un peuple, n’adopte pas de loi, ne lève pas d’impôts, ne fais pas de relations internationales ni n’administre la justice. Il usurpe toutefois l’autorité d’un état par la plus abjecte violence : vols, viols, gorges tranchées pour la télévision mondiale au nom d’une vision radicale de l’Islam que la plupart des musulmans dénoncent et détestent. Pourtant, c’est à cet état fictif que le Canada a déclaré la guerre en engageant son armée en Irak. Ainsi, le Canada prenait fait et cause pour le gouvernement légitime de l’Irak dans une guerre civile qui met le pays à feu et à sang et menace le peuple kurde de génocide.
Le Canada aurait dû se prémunir contre une riposte à sa provocation. Il y a lamentablement failli. Une des pratiques de l’État islamique est le recours aux médias sociaux et à Internet pour endoctriner des cerveaux vulnérables, colériques, amers, perméables aux idées extrêmes, en révolte contre les autorités de leurs pays respectifs afin de les emmener à poser des gestes de terreur. On promet de jeunes vierges dans l’autre monde aux martyrs de l’Islam.
Ces « loups solitaires » sont difficiles à repérer parce qu’ils sont seuls, parce que leur geste n’est pas encadré par une organisation et parce que l’arme, une voiture ou un fusil de chasse cette semaine, n’est pas l’objet d’un contrôle ou d’une attention particuliers. Le fait que la Loi n’ait pas expressément permis de neutraliser Martin Rouleau, pourtant sur une « liste de surveillance » de quelques 90 individus, ne fait qu’ajouter à la difficulté.
L’attentat perpétré au Parlement du Canada, premier siège d’un gouvernement du G8 ainsi humilié dans l’histoire contemporaine, contribue à faire du geste sollicité et exalté par l’État islamique un acte de guerre. L’État islamique n’a pas revendiqué l’attentat mais l’a salué comme succès de son appel à la jihad, la guerre sainte.
Les directives publiées sur Internet ont été appliquées tant par Martin Rouleau que par Michael Zehaf-Bibeau. Si l’Occident ne reconnaît comme actes de guerre que ceux perpétrés par des hommes en uniforme avec un badge à l’épaule sous les ordres d’un officier, on retardera la mise en place de moyens efficaces pour contrer les attentats en territoire national.
À la place d’un fusil de chasse à deux coups, mettez une arme automatique entre les mains de Zehaf-Bibeau. On aurait alors vu la chose d’un tout autre œil en enlignant les cadavres de militaires et de civils sur le sol du Parlement du Canada.
Le Canada renforcera les lois qui cautionnent une intrusion plus importante dans l’intimité des Canadien, avec le risque d’abus que ça implique. Il augmentera ses liens avec les organisations internationales de lutte au terrorisme. Il musclera les contrôles aux points d’entrée du pays et de ses institutions d’état.
Enfin, le Canada se sentira justifié et légitime d’augmenter son effort de guerre sur le sol occupé par un ennemi qu’il a fait l’erreur de sous-estimer, mais que sa population déteste désormais. Bien peu de gens s’y opposeront, et c’est ainsi la carte politique du Canada, à un an tout au plus d’une élection, qui sera bouleversée. La guerre est aussi une puissante arme de politique intérieure.