Mettre la délinquance et le décrochage en échec
Le travail d'équipe et la discipline sont deux des valeurs que tentent d'inculquer les entraîneurs aux jeunes Atikameks.
Marco Chilton est le président du comité sport-jeunesse de Wemotaci. Il est responsable d'intégrer le programme de l'Académie TBT dans la communauté.
Les habiletés de bases sont enseignées aux plus jeunes par les entraîneurs de l'Académie TBT.

Par Nicolas Ducharme
Dans la chanson Passe moé la puck des Colocs, Dédé Fortin, dans le rôle d’un démuni, demandait un peu d’aide afin de se sortir de sa situation difficile. C’est par le hockey que la nation atikamekw de Wemotaci tente de donner ce coup de main à ses jeunes.
Depuis maintenant six ans, des cours de hockey sont offerts aux enfants résidant sur la réserve située en pleine forêt à plus de 100 km de La Tuque. Chaque semaine, du mardi au jeudi, deux entraîneurs de l’Académie Thibault-Bégin-Thibault de Trois-Rivières, Julien Ouellet et Steve Moreau, offrent des séances de perfectionnement aux jeunes des calibres pré-novice à junior. Entre 50 et 100 jeunes se présentent lors de ces entraînements, dont une demi-douzaine de filles.
« C’est un projet pour garder les jeunes dans le bon chemin et à l’école, explique M. Ouellet. Ça leur permet d’avoir des activités pour éviter le décrochage. »
« On les incite à venir ici. Plutôt que de faire du vandalisme, ils peuvent jouer au hockey », ajoute Marco Chilton, président du comité sport-jeunesse de Wemotaci.
La réserve de la Haute-Mauricie n’est pas seule au Québec à profiter des enseignements de l’Académie. Ce qui ne devait être qu’une première expérience, il y a six ans, s’est transformé en succès pour Nicolas Thibeault, président de l’entreprise. Un de ses entraîneurs passe maintenant huit mois par année à Obedjiwan, à proximité de Chibougamau, où il dirige le programme de hockey de l’endroit.
Une adaptation nécessaire
Comment les Atikameks réagissent-ils à la venue de deux entraîneurs de l’extérieur de leur communauté, d’une origine différente de surcroit? Tout a été une question d’adaptation.
« Les jeunes sont réceptifs, mais il fallait gagner leur confiance au tout début. Ce n’était pas évident. Nous sommes des blancs qui viennent de l’extérieur. Depuis, nous avons créé des liens et maintenant on s’entend très bien », révèle M. Ouellet.
La réaction des enfants laisse en effet peu de place à l’interprétation. Les rires sont nombreux pendant les pratiques, particulièrement chez les plus jeunes.
Les deux entraîneurs doivent aussi composer avec la barrière de la langue, puisque plusieurs joueurs ne parlent pas français et ne l’apprendront qu’à partir de la troisième année du primaire.
Les deux hommes avouent avoir beaucoup appris de cette aventure. « C’est quelque chose de très valorisant, humainement et du côté hockey. On apprend autant que les jeunes. Je n’avais jamais eu l’occasion de vivre sur une réserve et de côtoyer les gens des premières nations. C’est une belle expérience », souligne M. Moreau.
Une tout autre mentalité
L’enseignement du hockey aux Atikameks est toutefois bien différent de ce qui se fait dans les arénas de Trois-Rivières. Si l’excellence est une des valeurs de base de l’enseignement du hockey québécois, ce n’est pas le cas à Wemotaci.
« C’est une mentalité vraiment différente. À Trois-Rivières, les jeunes sont poussés vers la performance, alors qu’ici, c’est beaucoup plus récréatif. Il y a quand même des jeunes qui vont jouer à l’extérieur et qui veulent pousser. Ceux-là, on les encadre un peu plus », souligne M. Ouellet.
Les deux entraîneurs ont d’ailleurs dû adapter leur façon d’enseigner. Ils doivent laisser davantage de laisser-aller aux joueurs, sans quoi, plusieurs ne seront pas de retour.
Difficile de trouver la porte de sortie
Même si le hockey est une religion chez les Améridiens, comment expliquer qu’un si petit nombre ait percé les sphères du hockey pour se rendre à Ligue nationale de hockey? Le manque de désir semble y avoir joué un rôle.
Pour les jeunes hockeyeurs attikamekws, la LNH est loin d’être le rêve ultime. En fait, il est bien plus important pour eux de remporter les différents tournois inter-bandes que de soulever la coupe Stanley. La fierté de la communauté face aux autres nations est ce qui passe en premier. Voilà pourquoi plusieurs adolescents refusent de quitter la réserve lorsqu’il serait temps pour eux de joindre une équipe double lettre à La Tuque ou Trois-Rivières.
« J’ai des joueurs ici qui manient la rondelle comme je n’ai jamais vu. Mais lorsque c’est le temps de jouer dans un système, il n’y a rien à faire. Pourtant, ils pourraient aisément jouer dans la LHJMQ, mais ils ne sont pas intéressés à aller voir ailleurs », observe Julien Ouellet.
Eugène Petiquay connaît bien les difficultés que rencontrent les hockeyeurs amérindiens. Son fils Daniel a évolué dans la LHJMQ avec l’Océanic de Rimouski, aux côtés d’un certain Sidney Crosby. Aujourd’hui, il regarde son petit-fils profiter de l’enseignement des deux entraîneurs invités. Il est persuadé que le programme de l’Académie TBT est la meilleure manière pour développer le sport à Wemotaci.
« Il y a beaucoup d’individualisme chez les Autochtones. Si un Autochtone essaye de montrer quelque chose à un autre, ça ne fonctionnera pas. Il faut que ce soit quelqu’un d’ailleurs. Ce que l’Académie leur inculque, ça leur apporte beaucoup (aux enfants). C’est tout un mode de vie qu’ils apprennent, pas juste du hockey. »
Les premiers résultats se font sentir
À sa sixième année, le programme de l’Académie a connu une baisse de popularité, selon le président du comité sport-jeunesse, Marco Chilton. Une conséquence directe de l’instauration du projet, puisque qu’ils sont de plus en plus nombreux à se joindre à la structure de Hockey Québec.
« Il y a moins d’intérêt, mais c’est parce que plusieurs joueurs ont décidé d’aller jouer au hockey double lettre à La Tuque. On ne voyait pas ça avant. »
Certaines familles se sont même expatriées à Trois-Rivières pour permettre à leur jeune de cheminer dans divers sports. « L’un d’eux a remporté le Bol d’or au football », souligne le chef du Conseil de la nation atikamekw, David Boivin, pour qui il s’agit d’une fierté.
Éviter l’ennui
Malgré l’encadrement, il n’est pas facile pour un jeune de s’éloigner de ses racines. M. Petiquay se souvient bien des difficultés rencontrées par son enfant, lors de ses tentatives pour percer dans la LHJMQ.
Après avoir été retranché par les Cataractes de Shawinigan, qui craignaient que le jeune homme ne quitte l’organisation à tout moment pour retourner à Wemotaci, il a finalement obtenu la confiance de l’Océanic de Rimouski.
« Je lui ai dit de ne pas s’arranger pour s’ennuyer et de se faire des amis dans les joueurs et dans sa famille d’accueil. Les jeunes autochtones ne savent pas comment vivre en ville », croit-il.
Vers un sport-études
L’instauration d’un programme de hockey à Wemotaci est le premier pas d’un projet qui pourrait avoir des conséquences bien plus importantes pour la communauté : la naissance d’un programme sport-études.
Selon les données de 2006 de Statistique Canada, 64 % des membres de la communauté de Wemotaci ne possèdent pas de diplôme d’études secondaires. Un constat alarmant qui perdure année après année.
Le Conseil de bande aimerait bien que le programme de l’Académie Thibeault-Bégin-Thibeault ajoute un volet éducatif.
« C’est certain que nous voulons développer un programme de la sorte. Ça permettrait à nos jeunes d’améliorer leurs capacités et ce qu’ils retiennent de l’enseignement, en plus d’augmenter leur intérêt pour aller à l’école », mentionne le chef du Conseil des Atikamekws, David Boivin.
Le budget représente toutefois un problème dans ce projet. La bonne nouvelle est que la réserve possède déjà d’excellentes installations, dont un terrain de baseball moderne et une surface de gazon synthétique pour le soccer. On aimerait que les enfants développent des habiletés sportives dans divers sports, pas seulement au hockey.
« Le but est de permettre aux Amérindiens de poursuivre leur scolarité et d’obtenir leur diplôme. On veut qu’ils soient bons à l’école et qu’ils y restent. Si en plus, nous formons de meilleures personnes, j’en suis enchanté », observe Nicolas Thibeault, président de l’Académie TBT.
Les jeunes de la communauté devraient ainsi réussir leurs cours afin de sauter sur la patinoire. Un suivi académique serait aussi assuré. Le programme s’adresserait aux enfants d’âge primaire, au début.
Une rencontre est prévue prochainement avec le Conseil de nation. Si les astres s’alignent, le projet pourrait prendre vie dès l’année prochaine.