Santé
Le mystère des cancers résistants commence à livrer ses secrets

Par Salle des nouvelles
Des chercheurs de l'Université d'Ottawa ont identifié un mécanisme qui permet aux cellules anormales de se multiplier comme si elles étaient saines, ce qui pourrait constituer un atout important dans la lutte contre le cancer.
Ce mécanisme pourrait aussi expliquer pourquoi certains cancers finissent par développer une résistance aux médicaments de chimiothérapie qui sont utilisés pour les détruire.
«La meilleure façon de causer un cancer chez un être humain ou chez tout organisme, c'est d'avoir des dommages à l'ADN», a rappelé le professeur Damien D'Amours, de la faculté de médecine de l'Université d'Ottawa.
«Donc nous, on voulait comprendre comment les cellules écoutent ou n'écoutent pas les mécanismes, les règles du cycle cellulaire, qui leur disent essentiellement comment ou quand elles devraient se diviser ou pas.»
Habituellement, a-t-il précisé, les cellules «n'aiment pas du tout se diviser quand elles ont des dommages à l'ADN parce que ça peut causer des plus grands dommages et ensuite ça peut causer le cancer».
Les cellules dont l'ADN est endommagé sont donc normalement incapables de se diviser en raison des dommages qu'elles présentent.
Le professeur D'Amours et l’étudiante de cycle supérieur Laurence Langlois-Lemay ont maintenant découvert comment ces cellules arrivent à contourner les points de contrôle du cycle cellulaire qui empêcheraient normalement leur division.
«Nous avons trouvé une mutation dans une (enzyme) qui s'appelle Polo et qui, en fait, commence à ne plus écouter son cycle cellulaire comme elle le devrait, a-t-il expliqué. Et cette mutation permet aux cellules de "tricher".»
La première règle de la division des cellules, a-t-il ajouté, est qu'une cellule se divise uniquement lorsqu'elle reçoit un signal lui indiquant de le faire. La deuxième règle est qu'une cellule endommagée ne devrait jamais se diviser.
C'est cette deuxième règle que la mutation identifiée permet aux cellules anormales d'enfreindre.
Le professeur D’Amours, qui est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la dynamique de la chromatique et l’architecture du génome, estime que la principale découverte de l’étude est très pertinente pour le traitement du cancer, puisqu’un grand nombre d’agents chimiothérapeutiques fonctionnent en ciblant et en endommageant l’ADN de la tumeur.
«Une grosse fraction de la thérapie qui est utilisée pour traiter les cancers chez les patients est basée sur la notion qu'on endommage l'ADN (...) des cellules cancéreuses des patients, a-t-il dit. Et on veut que les cellules arrêtent de se diviser en réponse à ces dommages-là. Mais si les cellules ne répondent pas à la règle de ne pas se diviser quand elles ont un dommage à l'ADN, elles ne répondront pas à la thérapie.»
On estime que la résistance aux traitements contribue à 90 % des décès liés au cancer.
En d'autres mots, a précisé le professeur D'Amours, on endommage les cellules pour activer le mécanisme d'arrêt du cycle cellulaire.
Mais si les cellules s'adaptent à leur ADN endommagé, elles peuvent continuer à se diviser, ce qui peut entraîner une résistance à la chimiothérapie, «et c'est le gros défi dans le traitement du cancer partout dans le monde en ce moment», a-t-il souligné.
«Si on inhibe (Polo), on redonne aux cellules ce processus de décision-là de ne pas se diviser en présence de dommages à l'ADN», a résumé le professeur D'Amours.
La prochaine étape consisterait à tester certains inhibiteurs d'enzymes de la famille de Polo chez des souris pour voir s'il y a lieu d'ensuite organiser des essais cliniques, a-t-il conclu.
Les conclusions de cette étude ont été publiées par le réputé journal scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences.
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne