Recherches
Les personnes autistes pourraient apprendre le langage différemment, selon une étude
Par La Presse Canadienne
Les personnes autistes pourraient apprendre le langage différemment que les enfants neurotypiques, conclut une méta-analyse qui invite les spécialistes à étudier le langage en dehors de la comparaison autiste et non autiste.
L’analyse, qui réunit 71 études publiées depuis 1994, a été réalisée par le professeur au département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal, Laurent Mottron, Ariane St-Denis, étudiante en médecine à l’Université McGill et Mikhail Kissine, professeur de linguistique à l’Université libre de Bruxelles.
Leur étude conclut que les enfants autistes peuvent acquérir le langage tout en ayant un niveau d’attention conjointe bas, un facteur qui est primordial dans l’apprentissage du langage chez les personnes neurotypiques.
Qu’est-ce que l’attention conjointe? Il s’agit du processus par lequel, par exemple, un parent va pointer un oiseau à son enfant, et lui dire : «regarde, c’est un oiseau». L’attention de l’enfant se portera donc sur le même objet que celui désigné par son père, auquel il associera le mot «oiseau».
«C’est l’une des caractéristiques les plus claires et très précoces de l’autisme, qu’on voit dès la fin de la première année de vie, de façon très robuste, c’est que cette attention conjointe est moins présente ou pas du tout présente», explique Laurent Mottron, joint à partir de Bruxelles.
«Les enfants autistes, par exemple, vont avoir tendance à beaucoup moins faire attention au regard, alors que pour établir l’attention conjointe, il faut pouvoir suivre le regard d’autrui», poursuit-il.
Le professeur indique que le manque d’attention conjointe chez les personnes autistes est une cause « très probable» de leur retard dans l’apprentissage du langage.
«Autour de 60% des enfants autistes à trois ans ne parlent pas, ou parlent très peu», précise M. Kissine.
Toutefois, «si on regarde ce qui se passe autour de sept à neuf ans, il y a beaucoup d’enfants qui ont développé du langage. Ils ont rattrapé ce retard», précise le professeur. Leur étude se questionnait donc à savoir si les enfants autistes qui ont davantage d’attention conjointe ont plus de chance de parler.
Au final, «ce qu’on réalise, c’est que, oui, l’attention conjointe est très importante dans l’autisme, elle joue en fait un rôle de pivot, dans le sens (où) les enfants qui n’ont pas ou peu d’attention conjointe ont plus de chance de manquer les premières étapes du langage», déclare M. Kissine.
«Mais, ce qu’on voit aussi, quand on examine toute cette littérature scientifique, et ce qui est très intéressant, et un peu interpellant, c’est qu’il y a aussi clairement des cas à tester d’enfants autistes qui acquiert le langage, qui arrivent à des niveaux qui sont très élevés (…) alors qu’ils ont par ailleurs des niveaux d’attention conjointe qui sont bas, ou ils n’ont pas de cas d’attention conjointe qui est documentée», ajoute-t-il.
La méta-analyse conclut donc que des enfants autistes acquièrent tout de même le langage, malgré leur manque d’attention conjointe.
Toutefois, de plus amples recherches doivent être effectuées pour déterminer par quels mécanismes les enfants autistes apprennent à parler.
Par exemple, des études ont montré des cas d’enfants autistes qui apprennent une langue qui n’est pas parlée autour d’eux, uniquement par une exposition aux écrans, illustre M. Kissine. Certaines recherches rapportent aussi des cas d’enfants autistes hyperlexiques, c’est-à-dire, qui ont une maitrise précoce du langage écrit par rapport à leur langage oral.
«Ce sont des cas individuels que je pense on devrait mieux documenter pour mieux comprendre, d’une part quels sont les facteurs motivationnels, qu’est-ce qui motive ces enfants à acquérir le langage alors qu’ils ne peuvent pas l’utiliser pour communiquer autour d’eux, et d’autre part, essayer de comprendre comment ils le font», soutient M. Kissine.
Le professeur invite donc les chercheurs à «garder l’esprit ouvert», en soulignant qu’il ne faut pas toujours s’attarder au développement d’un enfant non autiste pour comprendre le développement du langage d’une personne autiste.
Coralie Laplante, La Presse Canadienne
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