Prenez garde, marins d'eau douce!

Par Guillaume Jacob
Le drame qui s’est joué le 17 juin au large de Trois-Rivières et celui de dimanche, à Bécancour, rappellent que la plaisance peut vite tourner à la tragédie. Ce jour-là, un accident de speedboat a plongé six personnes dans les eaux, dont deux qui ont péri. Pendant que la belle saison bat son plein et les plaisanciers s’amusent sur les flots, la sécurité prend-elle le large elle aussi ?
Les plaisanciers semblent être de plus en plus nombreux au large de Trois-Rivières. À la marina située sur l’île Saint-Quentin, les 280 emplacements sont occupés et la liste d’attente s’allonge d’année en année, rapporte la gérante, Marthe Lafrenière.
Les belles journées d’été, les eaux de la Saint-Maurice et du Saint-Laurent s’emplissent de capitaines du dimanche, et la circulation devient parfois très dense. Ski nautique et tir de chambres à air s’ajoutent au trafic. « Il y a de plus en plus d’embarcations, et je dirais qu’il y a de plus en plus d’embarcations dotées de moteurs puissants », observe Robert Comeau, commandant de l’escadrille canadienne de plaisance de Trois-Rivières. Cette organisation se consacre à la formation des plaisanciers en matière de sécurité nautique.
Pour autant, la grande affluence sur les plans d’eau ne devrait pas poser problème, si tous respectaient les règles élémentaires de sécurité, plaide M. Comeau. « Malheureusement, ce qu’on observe, c’est que beaucoup de plaisanciers ont une formation très superficielle. »
Celui qui navigue depuis une dizaine d’années est souvent témoin de manœuvres téméraires. « La fin de semaine, pas besoin d’aller très loin pour voir des gens qui, soit par insouciance ou manque de connaissance, vont filer très rapidement entre d’autres bateaux. »
D’ailleurs, l’équipe trifluvienne de la garde côtière canadienne a reçu 90 appels de détresse l’an dernier, presque deux fois plus qu’en 2010.
Carte bidon
Depuis 1999, tous ceux à la barre de bateaux à moteur doivent détenir, à tout le moins, leur <I>Carte de conducteur d’embarcation de plaisance<I> pour naviguer. Or, selon Robert Comeau, cette preuve de compétence, délivrée par Transport Canada, s’obtient souvent beaucoup trop facilement. Que ce soit dans les salons de plein air ou de pêche, dans des kiosques de stationnement de centres commerciaux ou via des cours en ligne, les cartes seraient fréquemment consenties à la va-vite par des organismes pourtant accrédités.
Sur les petits plans d’eau, les rudiments font souvent l’affaire, mais pour les sorties au large, vaut mieux naviguer selon les règles de l’art, avertit M. Comeau. « Je suis loin d’être convaincu qu’un formulaire qui prend 45 minutes à remplir prodigue toutes les connaissances nécessaires à une navigation sécuritaire sur le fleuve, par exemple, où il y a un chenal de navigation et où il est bon de connaître les bouées. »
Selon des données gouvernementales, les Escadrilles canadiennes de plaisance du Canada évaluent que seulement la moitié des conducteurs de bateaux à moteur du pays détiendraient leur carte de compétence.
Gilet de flottaison: port facultatif
Pour le moment, rien n’oblige les passagers est les conducteurs à revêtir leur gilet de flottaison lorsqu’ils naviguent, peu importe la vitesse. Toutefois, le conducteur a l’obligation d’avoir dans l’embarcation un nombre de vestes de sauvetage égal au nombre de passagers, et d’aviser ces derniers de leur emplacement. Le bon jugement est donc de mise.
Robert Comeau recommande fortement le port du gilet de flottaison lorsqu’on navigue à grande vitesse. « Dans la moitié des cas de noyade, la victime ne portait pas de veste de sauvetage. »
Malgré tout, le commandant d’escadrille ne prône pas des règlements plus sévères. « Je ne crois pas qu’on devrait resserrer les règles autant que de les faire appliquer. Si les règles actuelles étaient appliquées de façon rigoureuse, on observerait moins de situations dangereuses. Ce qui manque, c’est peut-être une présence plus forte de la police pour s’assurer du respect des bonnes pratiques. Il n’y a pas beaucoup de surveillance sur nos plans d’eau. »
Éviter de flirter avec les cargos
Sur le fleuve Saint-Laurent, il peut être tentant pour les plaisanciers de batifoler dans les vagues créées par les cargos. Pourtant, il s’agit là d’une très mauvaise idée, insiste Robert Comeau, commandant de l’escadrille canadienne de plaisance de Trois-Rivières. « La première règle de sécurité est de ne pas s’approcher des cargos. La manœuvrabilité et le temps de réponse de ces navires sont très limités. »
Vitesse illimitée
Il n’existe aucune limite de vitesse sur les flots. Ainsi, même si la Sécurité publique de Trois-Rivières possède un bateau-patrouille depuis 2005, les policiers ne peuvent pas forcer les plaisanciers à ralentir.
La patrouille nautique de la Sécurité publique de Trois-Rivières (SPTR) fait environ deux sorties d’une journée par semaine, indique le capitaine René Martin. Les policiers ont le pouvoir de vérifier les preuves de compétences des conducteurs de bateaux à moteur, le taux d’alcoolémie, et les équipements de sécurités requis à bord et de remettre des constats d’infractions à ces effets.
L’équipe trifluvienne de la garde côtière canadienne, quant à elle, n’a pas le pouvoir d’en faire autant. Elle ne peut que faire de la sensibilisation, et s’occuper des opérations de sauvetage.
Si les policiers trifluviens sont le seul corps policier sur le Saint-Maurice, ils partagent le Saint-Laurent avec la Sûreté du Québec.
Mme Laquerre remarque qu’il n’y a pas de signalisation et peu de surveillance qui est faite dans les alentours du club. Deux facteurs qui pourraient embellir le voisinage entre pagayeurs et plaisanciers.
Houleuse cohabitation
La cohabitation est parfois houleuse à l’embouchure de la Saint-Maurice entre les canotiers, les kayakistes et les nombreux plaisanciers à la barre de puissants yachts.
Par les belles journées ensoleillées, Véronique Laquerre hésite à faire pagayer ses élèves aux alentours de l’île Saint-Quentin ou devant la mise à l’eau du Maikan aventures. « C’est trop achalandé », souligne l’entraîneuse du Club de canoë-kayak de vitesse de Trois-Rivières.
À plusieurs occasions, elle a dû composer avec des plaisanciers qui ne se préoccupent pas de la sécurité des jeunes pagayeurs. « Certains passent très vite et trop près, et créent des vagues qui menacent de nous faire chavirer, et qui réussissent parfois», s’indigne-t-elle.
Si pour certains plaisanciers, il s’agit d’un manque de considération involontaire, d’autres font carrément preuve d’insolence, constate Mme Laquerre. « On leur fait signe de ralentir, en vain. Parfois, on va les voir et ça arrive qu’on se fasse envoyer promener. On a eu quelques petites prises de bec à l’occasion. »
L’ancienne athlète, qui pagaie sur la rivière depuis une dizaine d’années, fait remarquer que le problème ne date pas d’hier. La situation s’est même améliorée depuis que la descente de bateau au pied du pont Duplessis est fermée à cause des travaux qui s’y déroulent. « Avec les travaux, ce n’est pas tous les bateaux qui traversent sous le pont, alors c’est plus calme en amont. »
Les berges aussi affectées?
La Ville de Trois-Rivières a déjà tenté de diviser l’embouchure de la rivière en zones vouées soit aux embarcations à rame, soit aux embarcations à moteur. Le projet était toutefois mort dans l’œuf, indique le porte-parole, Yvan Toutant.
C’est que l’aménagement de zones de navigation sur la rivière revient à Pêches et Océans Canada et à Transports Canada. Les discussions avec ces deux organisations, longues et ardues, avaient avorté. « Les coûts envisagés étaient assez importants », se souvient aussi M. Toutant.
Toutefois, la Ville pourrait revenir à la charge avec un argument plus convaincant : celui de l’érosion des berges. Ce problème afflige l’île Saint-Quentin depuis de nombreuses années, et une étude sera bientôt lancée pour en déterminer les causes exactes. Déjà, on soupçonne que les vagues créées par les bateaux de plaisance accélèrent le phénomène de l’érosion, souligne M. Toutant.
« Si l’étude valide cette hypothèse, la Ville aura un argument de taille pour convaincre Pêches et Océans Canada de procéder au balisage de l’embouchure et imposer une limite de vitesse. »
Advenant la création de telles zones, la Sécurité publique pourrait intercepter des plaisanciers qui dépasseraient une éventuelle limite de vitesse.