La peur de l’échec, frein ou moteur?

Par Matthieu Max-Gessler
«La peur de l’échec m’a poussé à réussir»: voilà l’un des messages qu’a mis de l’avant le fondateur de l’entreprise de jeux vidéo Beenox et nouvellement propriétaire de la chaîne Chocolats Favoris, Dominic Brown, lors de son récent passage devant les membres de la Chambre de commerce et d’industries de Trois-Rivières. Si cette recette a été fructueuse pour lui, peut-elle l’être pour tous?
Selon Karina Dastous, chargée de cours à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et formatrice en gestion dans les entreprises, l’échec est essentiel à l’évolution d’une entreprise.
«À mon sens, l’échec a un rôle essentiel dans l’innovation, puisque ça veut dire qu’on a pris des risques. James Dyson a fabriqué plus de 5000 prototypes d’aspirateur avant de trouver celui qui allait fonctionner. Walt Disney a dû cogner à la porte de 322 banques avant d’en trouver une qui lui a dit oui», résume-t-elle.
Pour Mme Dastous, si la peur a réussi pour certains, elle est généralement un frein à la créativité et, par conséquent, à l’innovation.
«La peur paralyse, alors on n’ose plus rien. Mais on ne peut pas être créatif dans la peur. Dans un milieu créatif, il faut enlever cette pression-là, puisque cesser de prendre des risques, c’est pratiquement cesser d’évoluer, ce qui mène à notre perte dans un marché en changement comme le nôtre», croit la chargée de cours.
Un frein à la création d’entreprises?
Si le tiers des 18 à 34 ans caressent l’idée de lancer leur entreprise, ils restent peu nombreux à se lancer – à peine 12%. La peur de l’échec peut-elle être un frein à l’entrepreneuriat chez les jeunes, comme elle l’est à l’innovation? Les données québécoises du <I>Global Entrepreneurship Monitor<I> (GEM), une étude menée à travers le monde sur l’entrepreneuriat, ne semblent pas l’indiquer.
«On voit que ce n’est pas un frein à l’entrepreneuriat. Les Québécois n’ont pas peur de l’échec. Ils identifient des opportunités et n’ont pas peur de se lancer en affaires. Mais les gens ne risquent pas de devenir entrepreneurs s’ils ont trop peur de l’échec. Il faut avoir un peu peur, mais pas assez pour ne pas faire le saut», estime Étienne St-Jean, professeur et chercheur à l’Institut de recherche sur les PME de l’UQTR, qui a pris part à cette recherche.
Sans remettre en question les conclusions du GEM, Caroline Beaudry, directrice générale de la Chambre de commerce et d’industries de Trois-Rivières, croit que la peur de l’échec peut parfois priver le Québec d’entrepreneurs de talent, parce qu’ils ont trop à perdre s’ils échouent.
«Les jeunes sont plus audacieux parce qu’ils ont moins à perdre. Passé un certain âge, l’expérience nous montre comment faire les choses, mais on ose moins», avance-t-elle.
Un parcours pour se connaître… et se tromper
Depuis plusieurs années, le Cégep de Trois-Rivières développe des formations et des outils pour aider les futurs entrepreneurs et ceux qui ont déjà fait le saut dans leur carrière atypique. La plus récente corde à l’arc de l’institution est un parcours entrepreneurial, que les étudiants peuvent suivre en parallèle de leurs cours réguliers pour se préparer au lancement de leur entreprise. À l’instar de ce que prône Karina Dastous, l’échec y est perçu comme une occasion d’apprendre plutôt qu’une fin en soi.
«Dans notre philosophie, l’échec est une façon de se développer. On a une intervenante qui accompagne les étudiants dans leurs projets et qui fait une rétroaction avec eux ensuite, pour voir ce qui a bien marché et ce qui serait à faire autrement la prochaine fois», décrit Lucie Hamel, directrice adjointe au soutien à la pédagogie et à la réussite.
Cette dernière ne croit toutefois pas que l’échec soit un frein au lancement d’entreprises, du moins pas chez les jeunes.
«Je ne suis pas sûre que la crainte de l’échec fait que beaucoup de jeunes ne se lancent pas. Les étudiants ne parlent pas de cette crainte, ceux qui veulent faire de l’entrepreneuriat leur carrière sont déterminés», soutient-elle.