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La terre à vendre

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30 mai 2012
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Par Guillaume Jacob
TROIS-RIVIÈRES - 

En Mauricie, la valeur moyenne des terres agricoles a fait un bond de 33% entre 2003 et 2008, selon les données de la Financière agricole du Québec. Inutile de dire que la plupart des titres boursiers font pâle figure à côté de tels chiffres. Roger Gauthier l’a bien compris. Il y a deux ans, ce Trifluvien a créé Agri-Terra, le tout premier fonds d’investissement en terres agricoles québécois.

« J’ai investi dans pas mal d’entreprises, et c’est ce qu’il y a de plus rentable », avoue-t-il sans hésiter. En plus de leur rendement intéressant au plan financier, les terres agricoles constituent une valeur sûre du fait qu’elles répondent à des besoins de base. « Les gens vont toujours manger », résume M. Gauthier.

Ainsi depuis 2010, le fonds a acquis plusieurs terres dans la région et ailleurs en province. Ces terres sont ensuite relouées à des agriculteurs. Les revenus de location sont redistribués aux investisseurs.

Depuis la création du fonds, M. Gauthier voit les offres de terres s’accumuler sur son bureau. « Sur dix offres que j’aie, j’en accepte une », estime-t-il. C’est que le copropriétaire d’Agri-Terra (avec son beau-fils) choisit méticuleusement ses terres. « On achète les terres pour le rendement à long terme », soutient-il.

Spéculation

Roger Gauthier se défend bien d’agir en spéculateur et de faire gonfler artificiellement les prix. « Les investisseurs qui embarquent avec nous savent que c’est pour du long terme, au minimum cinq ans. »

Pour celui qui a toujours été impliqué dans le domaine de l’agriculture, la hausse fulgurante du prix des terres agricoles au Québec depuis maintenant 10 ans est due à la croissance et à la consolidation des fermes. « Les agriculteurs se compétitionnent beaucoup entre eux pour l’achat de terres. Le lait et les grains sont très payants depuis quelques années, et les agriculteurs utilisent leurs entrées d’argent comptant pour s’approprier plus de terres », observe-t-il.

Partout au Canada

Phénomène relativement nouveau, l’achat de terres agricoles par des fonds d’investissement ne se limite pas à la Mauricie. Durant les deux dernières années, la Banque Nationale a acheté des milliers d’acres de terres agricoles autour du lac Saint-Jean. Devant la levée de boucliers que cela a soulevée dans cette région, la Banque a cessé ses manœuvres.

« Au Québec, les fonds d’investissement dans le domaine agricole suscitent des craintes », remarque aussi Roger Gauthier, de chez Agri-Terra. Pour échapper aux vents contraires, l’homme d’affaires se tourne désormais vers le Nouveau-Brunswick et la Saskatchewan, qui offrent de belles occasions d’achat, car les terres y sont moins chères qu’au Québec, souligne-t-il.

Déjà, les terres achetées dans ces deux provinces représentent 85% du portefeuille d’Agri-Terra.

Jean sans terre

L’automne dernier, Jean Baril a tourné une page importante de sa vie en quittant définitivement le monde de l’agriculture. Faute de relève et fatigué des tracas quotidiens, des coûts croissants et du stress imposé et des humeurs de Dame Nature, l’agriculteur de Saint-Narcisse a vendu ses quelque 300 acres de terre (1,2 km2) au fonds d’investissement Agri-Terra.

M. Baril songeait à se départir de ses terres depuis quelques années, mais refusait de quitter sa maison et de vendre ses terres à bois au rabais. Or, en vertu de la Loi sur la protection du territoire agricole, tout son lot était indivisible, à moins d’une dérogation de la Commission de protection du territoire agricole. Il avait réfléchi à vendre à des agriculteurs voisins, mais se doutait bien que ceux-ci, intéressés uniquement par les terres, refuseraient de lui payer la pleine valeur de sa maison et de ses terres à bois.

En plus d’accepter de lui verser les sommes voulues, Agri-Terra lui proposa un contrat en usufruit, ce qui lui permet d’habiter sa maison et de continuer d’exploiter ses terres à bois même si légalement, elles ne lui appartiennent plus. Pour le moment, M. Baril ne regrette pas son choix. Le fonds d’investissement mandate une entreprise pour continuer à exploiter et entretenir les champs.

Pour le fermier à la retraite, cette transaction est symptomatique de l’état de l’agriculture d’aujourd’hui, où les entreprises n’ont d’autres choix que de grossir ou mourir. « L’achat de terres, ce n’est pas nouveau. Si ce n’est pas des fonds d’investissement, ce sont les voisins qui achètent. C’est dommage. Je suis en faveur de l’agriculture familiale, mais force est d’admettre que c’est de plus en plus dur. »

Plusieurs fermes sont devenues de véritables entreprises et comptent désormais sur des travailleurs à gage ou réguliers, et appartiennent à plusieurs actionnaires, observe M. Baril. Selon lui, la croissance de la taille des fermes jumelées aux dispositions de la Loi sur la protection du territoire agricole créé une spirale : les fermes achètent de plus en plus de terres, mais ne peuvent pas diviser leur lot par la suite. Ainsi, la valeur des exploitations agricoles est vouée à augmenter sans cesse.

« Qui va avoir les moyens de racheter ces entreprises millionnaires lorsque leurs propriétaires voudront vendre, de demande-t-il. Si ça continue, il n’y aura plus personne qui va vivre dans les rangs : toutes les terres appartiendront à la même entreprise. »

En vendant ses terres, M. Baril a donc confirmé ce qu’il observait depuis longtemps : l’agriculture est désormais affaire de gros sous, de spécialisation, d’économie d’échelle, de technologie et de grande expertise. Bref, de business.

L’UPA inquiète

 

L’Union des producteurs agricoles (UPA) observe avec inquiétude l’arrivée de fonds d’investissement dans les campagnes de la Mauricie.

« La journée où on n’est plus propriétaire de nos terres, on devient que de simple gérant de ferme », déplore le président de l’UPA-Mauricie, Martin Caron. Du moment qu’il n’est plus propriétaire, l’agriculteur n’a plus mot à dire quant aux choix de cultures, ajoute-t-il.

« Rester propriétaires de nos terres, c’est important si on veut se développer selon nos priorités », avertit le président, qui craint le développement de cultures vouées aux biocarburants. M. Caron a eu l’occasion de visiter des exploitations agricoles appartenant à des consortiums en Europe de l’Est et en Australie. « C’est aussi la diversité des entreprises agricoles qui est en jeu », note-t-il.

M. Caron est toutefois bien conscient que la relève se fait rare, et que dans ce contexte, il peut être très tentant pour plusieurs producteurs de vendre, que ce soit à des voisins ou à des fonds d’investissement.

Étude

Devant les cris d’alarme du monde agricole, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, Pierre Corbeil a commandé en avril dernier une étude pour documenter l’acquisition de terres par des non-exploitants au Québec. Cette étude sera réalisée par le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) au cours des trois prochaines années, au coût de 750 000 $.

 

 

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