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Les éducatrices demandent au gouvernement de passer de la parole aux actes

durée 10h30
3 juin 2023
La Presse Canadienne, 2023
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2023

MONTRÉAL — Les éducatrices expérimentées n'en peuvent plus. Plusieurs sont épuisées, sont en arrêt de travail, planifient des grossesses pour profiter d'une pause, ou choisissent carrément de quitter le métier. Elles demandent au gouvernement de passer de la parole aux actes pour valoriser leur profession.

«Est-ce qu'on peut être conscient de ce que ça représente réellement? Des fois, faudrait qu’ils [les ministres] viennent, faudrait qu’ils sortent de leur bureau», lance de sa douce voix Émilie Dechamplain, une éducatrice de Rimouski et instigatrice de «Valorisons ma profession». Ce mouvement, qui vise à faire reconnaître «l'apport essentiel» des éducatrices au Québec, s'est rendu sur la colline du Parlement pour faire valoir ses revendications et rassemble plusieurs milliers de membres sur un groupe Facebook privé.

Mme Dechamplain est éducatrice depuis 2015 et est visiblement agacée parce que selon elle le gouvernement n'a fait que peu d'efforts pour garder la main-d'œuvre dans les garderies et attirer plus de relève qualifiée.

Selon elle, les augmentations consenties récemment par le gouvernement sont «insultantes», comparativement aux autres professions avec une formation collégiale.

«Moi j’en ai des collègues qui sont parties pour devenir secrétaires. Elles gagnaient le même salaire, mais elles n'étaient pas épuisées mentalement et physiquement à la fin de leur journée, c'est quand même un bon gain», a-t-elle soutenu.

Actuellement, le salaire d'une éducatrice qualifiée varie de 21,60 $ à 30,04 $ l'heure en vertu de la dernière entente avec le gouvernement.

Mme Dechamplain, qui est présentement en congé de maternité, a accepté de se confier à La Presse Canadienne sur son emploi en compagnie de deux autres éducatrices, Mariève Péloquin et Élizabeth O'Farrell, qui ont lancé le mouvement avec elle.

Selon elles, bien que l'enjeu de la pénurie de main-d'œuvre dans les services de garde soit de plus en plus présent dans l'espace public, le gouvernement n'est pas passé de la parole aux actes.

«Quand on a célébré notre deuxième anniversaire de la création du mouvement [en mars 2023], on s'est questionnées. Qu'est-ce qui se passe? Comment ça se fait que ça avance pas?», demande Mme Péloquin.

«Comment ça se fait que le gouvernement n'a pas pris le taureau par les cornes pour stopper l’hémorragie, pis dire: "On vous a entendus, on est là avec vous."»

Le problème s'aggrave

Selon la spécialiste Nathalie Bigras, l'hémorragie s'aggrave dans les services de garde.

Mme Bigras, professeure au département de didactique de l'Université du Québec à Montréal, est en contact avec les gestionnaires des installations, et elle observe que les éducatrices les plus épuisées et à risque de jeter l'éponge sont les plus expérimentées, qui cumulent 10 à 15 ans d'expérience.

«Elles sont fatiguées, épuisées par la charge de travail. Elles nous disent que la charge de travail est devenue trop lourde», a-t-elle expliqué.

Ce sont aussi ces éducatrices expérimentées qui doivent accueillir les nouvelles recrues, qui n'ont pas toujours reçu la même formation qu'elles.

Et le problème est d'autant plus grand que le gouvernement ouvre de nouvelles installations et qu'il n'y a pas assez d'éducatrices pour répondre à la demande, a-t-elle ajouté.

«Les gestionnaires me disent: "J'en remplace une journée, le lendemain j'ai une démission." Ça arrête pas.»

La rétention ne semble pas meilleure pour les nouvelles recrues. Selon les données de Mme Bigras, parmi toutes les éducatrices qui quittent le métier, 50 % le font pendant la première année.

La professeure est d'ailleurs co-chercheuse d’un projet de recherche intitulé FARE (fidélisation et l’attraction des nouvelles recrues en petite enfance) pour obtenir les impressions des nouvelles éducatrices, qui ont entre 9 et 18 mois d'expérience, mais son équipe peine à avoir des réponses, ce qui selon elle est un indice du problème.

Les instigatrices du mouvement «Valorisons notre profession» croient que pour garder la main-d'œuvre et attirer une relève motivée, le gouvernement doit cesser de voir les garderies seulement comme un service de garde, pour les considérer réellement comme un service éducatif pour les tout-petits.

«Quand on se fait comparer à des gardiennes, c'est sûr que le monde qui arrive chez nous se disent: "Bon, ça va être facile, je vais les regarder jouer". Mais c'est pas ça en réalité», a indiqué Élizabeth O'Farrell.

Elles insistent donc sur l'importance de hausser les salaires, mais aussi améliorer les conditions des éducatrices, avec des journées pédagogiques et plus de semaines de vacances.

Meilleur portrait pour les admissions

Si dans les garderies elles-mêmes, le portrait ne semble pas très reluisant, on observe une légère accalmie du côté des admissions en technique d'éducation à l'enfance.

Dans les dernières années, on avait remarqué une baisse marquée des admissions dans les cégeps du Québec. Dans la région de Montréal, de 2017 à 2021, le nombre d'admissions est passé de 1053 à 775, selon les chiffres du Service régional d'admission du Montréal métropolitain (SRAM). En 2022, ce chiffre a tranquillement remonté à 866.

Au Service régional d'admission au collégial de Québec (SRACQ), qui regroupe des cégeps de partout au Québec, les admissions sont passées de 268 en 2019 à 329 en 2021. En 2023, on avait d'ailleurs observé une explosion des admissions – à 1212 – en raison, dit-on, des demandes à l'international.

Le gouvernement a mis en place des mesures, notamment des bourses, et les cégeps réfléchissent à plusieurs options, notamment un diplôme d'études collégiales (DEC) intensif, et des mesures pour faciliter la conciliation travail-études.

Mais ce n'est pas encore suffisant, note Karine Robert, présidente de l'Association des enseignantes et enseignants en techniques d'éducation à l'enfance (AEETEE).

Selon Mme Robert, le gouvernement devrait valoriser davantage le DEC en technique d'éducation à l'enfance. «Toutes les études démontrent en ce moment que la qualité d'un service de garde est intimement liée au niveau de formation des personnes qui y travaillent», a-t-elle soutenu.

Elle déplore notamment que depuis 2021, le gouvernement exige que seulement le tiers des éducatrices soient formées.

«Nous, ça fait longtemps qu'on dit que ça devrait être du trois sur trois. Les infirmières, c'est du trois sur trois», a-t-elle expliqué.

«Ça se peut qu'il y ait un enfant qui passe de la pouponnière jusqu'à cinq ans dans un milieu avec quelqu'un qui est non formé. Pour lui, c'est toute sa petite enfance», a-t-elle ajouté.

L'éducatrice Émilie Dechamplain estime que cette mesure a nécessairement baissé la qualité des services aux enfants.

«On s’est ramassés avec du monde qui n'avaient aucune formation et qui n’auraient jamais dû être en charge d’un groupe», a-t-elle déploré.

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Pour participer à l'étude de l'équipe de Nathalie Bigras: https://sondage.uqam.ca/752483?lang=fr

Vicky Fragasso-Marquis, La Presse Canadienne