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La réputation du Canada en lien avec les réfugiés est en jeu, selon Lloyd Axworthy

durée 08h19
14 novembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Par La Presse Canadienne, 2025

OTTAWA — Lloyd Axworthy, un ancien ministre de l'Immigration et fervent défenseur des réfugiés à l'échelle internationale, estime que les récents changements de politique du gouvernement fédéral mettent en péril la réputation du Canada comme pays accueillant pour les réfugiés.

L'ex-ministre cite entre autres le nouveau projet de loi C-12 du gouvernement Carney sur la sécurité frontalière, qui limiterait la possibilité pour les personnes présentes au Canada depuis plus d'un an de demander l'asile.

Ce projet de loi donnerait également au gouvernement de nouveaux pouvoirs pour annuler ou suspendre certains documents d'immigration, notamment les visas de résident permanent et les demandes d'immigration, au nom de ce que la loi qualifie d'«intérêt public».

«Nous nous replions sur nous-mêmes. Et malheureusement, cette situation est alimentée par les pressions de la droite anti-immigration», a déclaré M. Axworthy en entrevue avec La Presse Canadienne.

«Lorsque j'étais ministre, nous avons résisté. Nous avons dit: “Voici ce que les réfugiés peuvent faire. Voici comment nous allons gérer efficacement le système.” Nous avons un engagement fondamental envers les droits de la personne, et je pense que nous avons perdu cet engagement dans nos actions.»

M. Axworthy a annoncé jeudi sa retraite de la présidence du Conseil mondial pour les réfugiés et les migrations. Il occupait ce poste depuis la création de l'organisation en 2017.

Il a affirmé que si le Canada aime se présenter comme un pays accueillant pour les nouveaux arrivants dans des instances conviviales comme les Nations unies, Ottawa doit faire plus que de belles paroles face au sort des réfugiés.

Lloyd Axworthy a souligné une proposition du budget fédéral visant à imposer aux réfugiés et aux demandeurs d'asile ce qu'Ottawa décrit comme une «modeste participation financière» pour les soins dentaires et les médicaments d'ordonnance fournis par l'entremise du Programme fédéral de santé intérimaire.

«En réalité, cela revient à dire: “Nous ne voulons pas que vous veniez et nous allons vous compliquer la tâche pour venir ici.” Les réfugiés n’arrivent pas avec un compte en banque chez Chase Morgan», a souligné M. Axworthy, ajoutant que les migrants sont chassés de chez eux par «les conflits, les catastrophes naturelles et la corruption».

Des promesses brisées?

M. Axworthy s’est dit «préoccupé» par le fait que le Canada revienne «peut-être assez rapidement» sur les promesses faites dans le cadre de la Convention de l’ONU relative au statut des réfugiés. Entre autres, le Canada s’est engagé à ne pas renvoyer les réfugiés dans des pays où leur vie ou leur liberté pourraient être gravement menacées.

Pour respecter ce principe, selon M. Axworthy, le Canada doit dénoncer l’Entente sur les tiers pays sûrs.

En vertu de cet accord – qui part du principe que les États-Unis et le Canada sont des «pays sûrs» pour les réfugiés – les personnes doivent demander l’asile dans le premier pays où elles arrivent, ce qui signifie qu’elles ne peuvent pas quitter les États-Unis pour demander le statut de réfugié au Canada.

«Les États-Unis ne partagent plus nos valeurs, a-t-il soutenu. Nous avons toujours supposé que nous partagions une vision similaire des droits fondamentaux de la personne. Or, avec (le président américain Donald) Trump et son équipe, nous avons assisté à des expulsions massives sans possibilité d'appel et à une réduction de leurs programmes d'accueil des réfugiés.»

Lloyd Axworthy a cité une note de service de M. Trump datée du 30 septembre, dans laquelle il est indiqué que les États-Unis n'accepteraient que 7500 réfugiés – contre un plafond précédent de 125 000 sous la présidence de Joe Biden – et qu'ils donneraient la priorité aux Sud-Africains blancs, invoquant la discrimination raciale.

M. Trump a maintes fois relayé des allégations largement discréditées de «génocide blanc» et de persécution des agriculteurs sud-africains, et a annoncé son intention de boycotter le sommet du G20 en Afrique du Sud à la fin du mois en guise de réponse. Le gouvernement sud-africain affirme que ces allégations de persécution raciale sont sans fondement.

«Je pense qu'en tant que Canadiens, nous avons si peu en commun avec ce que (Donald Trump) fait que nous devrions simplement dire: “Merci beaucoup. Nous allons nous occuper de notre propre système d'accueil des réfugiés”», a indiqué M. Axworthy.

Pas de politique cohérente

Lloyd Axworthy a consacré plus de cinq ans de sa longue carrière politique au ministère de l'Immigration, d'abord au sein du gouvernement du premier ministre Pierre Eliott Trudeau dans les années 1980, puis sous celui de Jean Chrétien dans les années 1990.

Le gouvernement cherche à réduire le nombre de résidents permanents admis, qui atteignait un sommet annuel d'un demi-million de personnes ces dernières années. Selon M. Axworthy, l'approche actuelle est trop réactive.

«On a l'impression d'avoir un jeu de la taupe avec l'immigration. Il n'y a pas eu de politique cohérente, fondée sur une véritable participation et un engagement parlementaire. Or, c'est un aspect crucial de la situation mondiale actuelle», a-t-il expliqué.

«Je crois que (le premier ministre Mark) Carney souhaite bâtir un système plus performant. Et pour cela, il faut notamment s'assurer que les droits fondamentaux des citoyens, et l'immigration elle-même, constituent une politique efficace et équitable, et non le fruit de pressions et de jeux d'influence entre différents groupes d'intérêts.»

M. Axworthy estime que le gouvernement devrait recommencer à expliquer aux Canadiens en quoi l'immigration est bénéfique pour le pays et s'assurer que les règles qui régissent le système sont justes et compréhensibles.

«On ne répare pas un avion en vol, et je pense que nous sommes en train de bricoler. Il y a eu tellement de changements au cours des trois ou quatre dernières années que le système n'est plus vraiment cohérent ni intégré», a-t-il avancé.

«Le gouvernement de Justin Trudeau a commis une grave erreur en adoptant une vision pragmatique selon laquelle nous avions simplement besoin de toujours plus de gens. Mais personne n'a parlé des répercussions que cela aurait sur le logement, la santé et l'éducation. Par conséquent, nous nous sommes retrouvés avec des retards importants.»

David Baxter, La Presse Canadienne